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Alain Decaux

« Un fameux conteur de vraies histoires »

23 juillet 1925 – 27 mars 2016

« Vous faites partie du paysage français » : ainsi François Mitterrand salue-t-il Alain Decaux en lui remettant, en novembre 1991, les insignes de commandeur de la Légion d’honneur. « Vous avez fait aimer l’Histoire aux Français », poursuit-il, constat déjà formulé en 1979 par Valéry Giscard d’Estaing pour saluer l’élection de l’historien à l’Académie française.

Un sondage de 1985 le désigne comme « l’historien préféré des Français ». Sa popularité l’accompagne au long de plusieurs décennies. Elle est née d’abord d’une œuvre éditoriale importante (plus de soixante volumes) notamment des biographies, Victor Hugo, Blanqui l’insurgé, Cet autre Aiglon : le prince impérial, Offenbach, roi du Second empire, La Castiglione, Letizia, Napoléon et sa mère, l’Avorton de Dieu, une vie de saint Paul, Morts pour Vichy ; des études d’ordre général : Histoire des Françaises (deux volumes), Histoire de la France et des Français (treize volumes en collaboration), C’était le XXe siècle (quatre volumes) ; des sujets divers : Grands mystères du passé, Dossiers secrets de l’histoire, Destins fabuleux, Histoires extraordinaires ; des souvenirs : Le Tapis rouge, Tous les personnages sont vrais ; des livres pour la jeunesse : L’histoire de France racontée aux enfants, La Révolution française racontée aux enfants, La Bible racontée aux enfants, Jésus raconté aux enfants.

Ce qui cependant a fait de lui, aux yeux des Français, « la voix et le visage de l’Histoire » (l’Express), c’est son incursion, à l’aube même de sa carrière, dans l’audiovisuel : La Tribune de l’Histoire à la radio (diffusée de 1951 à 1997 avec André Castelot, Jean-Claude Colin-Simard et Jean-François Chiappe) ; La Caméra explore le Temps à la télévision (1956- 1966, avec Stellio Lorenzi et André Castelot). Il s’explique sur son besoin profond de faire partager au plus grand nombre le bonheur que lui procurait l’histoire : « J’ai voulu proclamer à la face du monde que l’histoire rendait heureux ! »

Si les premières émissions de la Caméra explore le Temps privilégient l’anecdote et les énigmes, les auteurs abordent bientôt de grands thèmes dont les premières générations de téléspectateurs gardent la mémoire : les Templiers, l’Affaire Calas, la Terreur et la Vertu, les Cathares. Un référendum auprès du public organisé en 1965 par l’ORTF désigne la Caméra comme « meilleure émission de la télévision française ». En 1966, à la question : « Quelle est votre émission préférée ? » les lecteurs de Télé 7 Jours, placent l’émission historique au premier rang, loin devant les séries les plus fameuses et les plus populaires de l’époque.

Trois ans après la suppression de la Caméra – qui fait grand bruit -, Maurice Cazeneuve, directeur de la Deuxième chaîne de télévision, propose à Alain Decaux de raconter sur le petit écran des épisodes ou des personnages de l’Histoire. Ainsi voit le jour l’émission Alain Decaux raconte qui, prévue pour un été, dure près de vingt ans. Seul à l’image pendant une heure, Alain Decaux conquiert un immense auditoire. Couronnée par le prix de la Critique de Télévision, la série provoque l’enthousiasme de Maurice Clavel :

« Nous avons vu les complots, les amours, les arrestations, les fuites et les batailles bien mieux que dans n’importe quelle superproduction de cinéma… Nous avons été saisis par un homme seul. Et il me semble bien que c’est la seule idée neuve que la télévision française ait apportée au monde » (Nouvel Observateur).

L’émission atteint des sommets dans les sondages lorsqu’elle s’interrompt brusquement en juin 1988 : Alain Decaux vient de répondre à l’appel de Michel Rocard et devient ministre de la Francophonie. Il le reste pendant trois ans. Déjà membre du Haut Conseil de la Francophonie, explique-t-il, il ne veut pas se dérober dès lors qu’on lui propose de magnifier la langue française à travers le monde.

Decaux est l’homme d’autres combats. Il crée et préside, au sein de la Fédération du Spectacle CGT, le Groupement syndical des Auteurs de Télévision. En mai 1968, il représente les auteurs à l’Intersyndicale de l’ORTF. Il est élu, en 1973, président de la Société des Auteurs et Compositeurs dramatiques où il invente le « droit image » qui reconnaît aux réalisateurs la qualité d’auteur.

Les ouvrages qu’il fait représenter au théâtre portent souvent la trace de sa passion pour la justice : citons les Rosenberg ne doivent pas mourir, mise en scène par Jean-Marie Serreau et adaptée dans onze pays (il reconnaîtra plus tard avoir été abusé sur l’innocence de Julius et Ethel Rosenberg) et la Liberté ou la Mort, étape importante de sa longue collaboration avec Robert Hossein. Dans la même série s’inscrivent De Gaulle, celui qui a dit non et C’était Bonaparte. Sa recherche de la spiritualité et sa foi sont proclamées dans une autre oeuvre mise en scène par Hossein : Un homme nommé Jésus. Il reprendra ce thème dans ses livres Jésus raconté aux enfants, la Bible racontée aux enfants et l’Avorton de Dieu, une vie de saint Paul.

Petit-fils d’un couple d’instituteurs, c’est dans un autre combat qu’il se jette en 1979. Il découvre avec stupeur que l’histoire, reléguée au rang d’activité d’éveil, n’est plus qu’une matière facultative à l’école élémentaire. Il prend l’initiative d’une campagne sur le thème : « Parents, on n’apprend plus l’histoire à vos enfants ! » La presse et les médias lui emboîtent le pas. Michel Debré, Jean-Pierre Chevènement et les grands universitaires lui viennent en renfort. C’est bientôt une cause nationale. Elle se change en victoire quand l’histoire, déclarée obligatoire en CM1 et CM2, retrouve sa place à l’école.

Interrogé par Paris-Match lors de son entrée au gouvernement sur la place qu’il se reconnaissait au sein de la gauche, il répond : « Je suis de la gauche de Victor Hugo ». Sa passion de l’histoire, dit-il, lui vient d’une lecture précoce de l’œuvre d’Alexandre Dumas.  En témoignent son action pour la sauvegarde du château de Monte-Cristo et la présidence des Amis d’Alexandre Dumas qu’il exerce pendant vingt-six ans.

A la demande de Jacques Chirac, il prononce en 2002 le discours d’entrée au Panthéon de l’auteur des Trois Mousquetaires en commençant par ces mots : « Enfin te voilà Alexandre... »

Dumas était l’un de ses trois maîtres, auprès de Victor Hugo auquel il consacra une biographie qui fit date en 1985, et de Sacha Guitry dont il fit la connaissance à 19 ans, et dont il devint l’ami intime.

Il aura redonné ses lettres de noblesse à un genre oublié : celui du conteur. François Mauriac, découvrant l’un de ses premiers récits télévisés, décèle « un fameux conteur de vraies histoires ».

Élu, en 1979, membre de l’Académie française, il préside l’Agence française d’Action artistique (AFAA) de 1991 à 2000 et, de 1998 à 2009, le collège des Conservateurs du Domaine de Chantilly. Grâce à son action, le château des Condé et des Orléans retrouvera de sa splendeur.

Le président de la République l’avait promu Grand Croix de la Légion d’honneur le 1er janvier 2014.

Sur la garde de son épée d’académicien, figure la devise qu’il s’est efforcé d’illustrer durant toute sa vie : Foi, liberté, tolérance.