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Jean-Christian PETITFILS

Co-Président du Festival 2020, L’HISTOIRE POUR TOUS

Dans la lignée des historiens qui, refusant la sèche érudition, se sont attachés à rendre l’Histoire vivante auprès du plus grand nombre – on songe à des hommes aussi différents que Jules Michelet, Augustin Thierry ou G. Lenotre -, Alain Decaux occupe une place singulière. Sans doute fut-il l’un des premiers à utiliser les médias modernes : la radio, où un public instruit suivait assidument des émissions de grandes qualités, puis la télévision en plein essor, qui ne négligeait pas alors d’aborder la culture à des heures de grande audience.

Beaucoup se souviennent de son émission La Tribune de l’Histoire et de sa dramatique de 45 mn tous les samedis soirs sur France Inter en compagnie d’André Castelot et de Jean-François Chiappe, ou les reconstitutions historiques soignées, malgré la pauvreté des moyens, de La Caméra explore le temps, dues au talentueux Stellio Lorenzi, que l’on pouvait voir sur la première chaîne de l’ORTF.

Que dire aussi de ses spectacles monumentaux montés au Palais des Sports avec Robert Hossein, qui ont connu de prodigieux succès, Notre-Dame de Paris, Danton et Robespierre, L’Affaire du courrier de Lyon, Celui qui a dit non, Ben Hur, etc ? Ou de sa campagne fort remarquée dans le Figaro Magazine dénonçant l’état catastrophique de l’enseignement de l’histoire ? Ou encore de son œuvre en tant que ministre délégué en charge de la francophonie ?

À la vérité, ni la conjoncture, ni la technique, ni l’inspiration revendiquée d’Alexandre Dumas ou de Victor Hugo ne suffisent à expliquer sa célébrité. Ses succès bien mérités, ce travailleur acharné les devait à ses qualités propres : il savait à merveille conjuguer la clarté du conteur et la rigueur du chercheur, tout en créant autour de sa personne une empathie naturelle.

Qui ne se souvient de son regard fixe et impressionnant, plongeant dans la caméra, et du jeu persuasif de son index destinés à entraîner la conviction. Du grand art ! L’homme était chaleureux par nature. Dans tous les personnages qu’il évoquait avec maestria – hormis les monstres, bien sûr – il cherchait la touche d’humanité sincère, les élans de cœur et de liberté, y compris chez un révolutionnaire marginal longtemps décrié comme Auguste Blanqui. Son sens inné de la justice le conduisait à vouloir réhabiliter les oubliés ou les maltraités de l’Histoire.

Permettez-moi d’évoquer quelques souvenirs personnels. Il m’a fait confiance d’emblée en acceptant, en juin 1963, de publier un premier article dans la revue qu’il avait fondée trois ans plus tôt, l’Histoire pour tous. Nous ne nous connaissions pas. J’avais alors dix-huit ans. D’autres articles ont suivi en 1965, 1966 et 1967. Nous nous sommes rencontrés pour la première fois en 1970, avec le délicieux Jean Prasteau, historien et chroniqueur au Figaro, lors du tournage d’une séquence télévisée sur le mystère du Masque de fer, sujet sur lequel je venais de publier mon premier livre à la Librairie Académique Perrin, notre éditeur commun, en attendant de partir pour mon service militaire ! Cela se passait à l’entrée des sous-sols de l’hôtel de Sully à Paris. J’étais dans une fort grande inquiétude face à la caméra. Il fallut refaire les prises et dépenser plusieurs mètres de pellicule. A peine arrivé sur les lieux du tournage, lui, très habitué aux médias, sut me rassurer, me mettre à l’aise. Grâce à lui, la suite de l’interview se déroula sans encombre. La bienveillance était un de ses traits de caractère.

Nous nous revîmes plusieurs fois à la Maison de la Radio sur le plateau de La Tribune de l’Histoire, où j’étais invité, soit par André Castelot soit par lui.

Je me souviens aussi de quelques émissions de télévision, l’une en particulier avec Pierre Bellemare. Avant de passer à l’antenne, il s’isolait un moment pour se concentrer et repasser méthodiquement dans sa tête ce qu’il allait dire sans la moindre erreur ni la moindre hésitation de langage : technique qu’il utilisera de façon systématique et tout à fait remarquable pour ses émissions « Alain Decaux raconte ». Jamais d’improvisation ! Tout était chez lui le fruit d’un minutieux travail de préparation, où la mémoire jouait un rôle essentiel. « Alain Decaux, forçat de l’Histoire », avait titré un jour France-Soir.

Je me souviens aussi de sa remise d’épée d’académicien à la Maison de la radio, au milieu d’une foule admirative et enthousiaste. Je l’avais félicité, lui le grand amateur de Dumas, d’entrer dans la prestigieuse compagnie des quarante mousquetaires du grand cardinal. Il m’avait remercié de son petit sourire inimitable.

Alain Decaux s’est trompé lorsqu’il assurait – sans doute par excès de modestie -, qu’après sa mort, son œuvre serait vite oubliée. Il est de fait que le grand thème dont il a été porteur, celui de « l’histoire pour tous », reste toujours vivant. Il lui doit beaucoup.

Faire connaître ses nombreux écrits et son action, perpétuer son souvenir sont les principales raisons d’être de l’association des AMIS d’ALAIN DECAUX, dans laquelle j’invite les disciples de Clio, amateurs, enseignants, chercheurs, érudits, à se reconnaître pleinement.